L’inaction, le blocage et l’instantanéité

Il y a des jours où ma mère me dit : « J’ai envie de créer, mais tout ce que je touche tourne à la merde. »

Est-ce un blocage artistique ou une période de transition ? Pour moi, un blocage est une phase d’inaction, où l’on se flagelle mentalement. Mais dans son cas, il y a bel et bien un élan, un désir de créer. C’est seulement que le résultat ne correspond pas à ses attentes, du moins pour l’instant.

Mes défis à moi ne sont pas forcément artistiques, mais je peux les comparer à l’escalade : grimper le même mur en choisissant d’éviter les prises les plus faciles pour augmenter le défi. Je veux réinventer l’ascension. Je change mes appuis, je risque de tomber, mais en réalité, j’avance. Chaque essai raté est en fait un succès caché.

Chez elle, cette démarche se traduit par l’exploration : nouvelles textures, nouveaux formats, nouvelles couleurs, nouveaux médiums. Rien n’est perdu. Tout devient apprentissage. Même ce qui finit à la poubelle représente une marche de plus.

La naissance inattendue de La Presse

Un bon exemple est l’œuvre intitulée :
La Presse. Étude sur le déclin du caribou. La menace de l’inaction. 21 juin 2023.

Cette toile, au départ, était condamnée. Ma mère avait expérimenté avec du carton de différentes textures et épaisseurs. Mais la matière n’obéissait pas. Elle n’aimait ni la sensation ni le résultat. C’était, pour elle, un échec. Direction la poubelle.

Et pourtant, avant de l’abandonner, elle a vu quelque chose : une impression de tempête de neige dans la texture. Cette vision a tout changé. Elle a repris le pinceau et prolongé cette idée : des caribous épars, exposés, sans protection. Leurs forêts disparaissent, leur habitat se réduit, les arbres qui les abritaient s’effacent.

Ce qui devait être un raté est devenu l’une de nos pièces préférées, et aussi l’une des plus appréciées par ceux qui découvrent son travail. Un paradoxe magnifique : parfois, les œuvres qui résistent le plus finissent par nous parler le plus fort.

L’instantanéité pour débloquer

Plutôt que de construire des toiles lentes, réfléchies, travaillées couche après couche, elle s’est jetée dans l’urgence. Elle a peint et collé dans la vitesse, dans le cru, pour capter l’émotion immédiate qui surgit après la lecture.

En lisant des articles sur le déclin du caribou — comme celui de Jean-François Racine paru dans Le Journal de Québec le 21 janvier 2023 — elle s’est laissée bouleverser.

Le résultat ? Des caribous qui nous regardent, peints sur des fonds sombres. Très différents de ceux de la série précédente. Plus rapides, plus bruts, plus directs. Comme des esquisses habitées. Des gestes qui veulent saisir la tristesse, l’abandon, le désespoir.

Ces caribous-là ne traversent plus le paysage. Ils ne sont pas filmés de côté, comme des figurants que nous observons à distance. Non. Ils sont face à nous. Ils nous fixent.

L’échec fécond

Alors, qu’est-ce que le blocage artistique ?
À mes yeux, c’est moins une impasse qu’un passage.

Oui, ma mère a des journées où tout semble rater. Oui, certaines expérimentations la frustrent. Mais dans ce désordre émergent des ouvertures inattendues.

  • Un collage mal aimé se transforme en tempête de neige pleine de sens.

  • Une toile promise à la poubelle devient une pièce maîtresse.

  • Trois œuvres esquissées dans l’urgence nous regardent et nous renvoient notre responsabilité.

Le blocage, ce n’est pas l’absence de mouvement. C’est la traversée d’un couloir étroit qui mène ailleurs.

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Chaque série son chapitre, chaque œuvre son histoire