Parlons un peu d’éco-anxiété
Ma mère me dit qu’elle a choisi l’environnement comme sujet parce que ça la rend triste.
Pourquoi ça la rend triste? Parce qu’elle voit la nature se détériorer devant ses yeux. Elle est entourée de preuves concrètes. Elle observe, elle constate, elle est curieuse — et plus elle creuse, plus elle voit le désastre.
Alors elle vérifie. Elle lit les journaux, même si elle déteste ça. Elle me dit souvent qu’elle s’y force, parce que ce sont toujours de mauvaises nouvelles. Et comme de fait, ce sont encore de mauvaises nouvelles : la dégradation de l’environnement, causée par nous.
Une fois qu’elle lit sur le sujet, elle veut s’assurer qu’elle a bien compris. D’un côté, elle n’y croit pas complètement, c’est trop gros. De l’autre, elle ressent le besoin d’en parler, de valider ce qu’elle a lu avec les autres — comme si voir et lire ne suffisaient pas.
Elle me parle souvent de sa dyslexie, un facteur clé dans tout ça. Elle lit les mots, mais le sens de la phrase lui échappe parfois. Elle doit relire plusieurs fois avant de comprendre. Surtout quand la phrase s’éloigne du simple sujet-verbe-complément. Alors elle lit, elle interprète, elle cherche à valider. Et une fois que c’est validé… qu’est-ce qu’on fait de cette information?
On se sent inutile, impuissant. Parce que même si on comprend, il n’y a rien qu’on puisse faire.
C’est probablement cette éco-anxiété qui m’a poussée à faire une maîtrise en management du développement durable. Oui, une maîtrise à HEC Montréal — un programme qui t’explique tout ce qui va mal sur la planète, qui te montre quelques projets prometteurs, puis qui te rappelle que, de toute façon, personne ne nous écoutera si ça ne rapporte pas un gros lot de cash.
Si j’avais de l’éco-anxiété avant, maintenant je suis juste… engourdie.
Moi qui faisais mon compost, qui recyclais religieusement, qui n’achetais qu’en seconde main, qui réparais tout ce que je pouvais pour prolonger la durée de vie des objets… J’étais hyper consciente de ma consommation. Jusqu’à ce que je termine ma maîtrise. Et honnêtement?
I stopped giving a shit.
Parce qu’à un moment, tu réalises que tant que Coca-Cola, Monsanto, ou Johnson & Johnson ne changent pas, les petits gestes individuels ne suffisent pas. Les petits joueurs, ça ne change rien.
Du moins, c’est ce que je pensais.
Jusqu’à ce que ma mère ravive ma curiosité, avec ses œuvres qui traitent de sujets si tristes, mais si actuels. Et là, je me suis demandé :
Et si on en parlait plus? Si on faisait résonner nos voix, est-ce que ça pourrait, quelque part, atteindre ceux qui ont le pouvoir d’agir?
Peut-être.
Suis-je motivée pour essayer? Oui — peut-être d’abord pour passer du temps avec ma mère, mais aussi parce qu’au fond, l’environnementaliste est encore là.
Quand je pense à fonder une famille, à avoir des enfants, je me sens mélangée. J’y étais farouchement opposée pendant longtemps. Et avec raison — qui veut élever des enfants dans un monde sans ressources, sans caribous?
Comment expliquer à un enfant ce qu’était l’animal sur le 25 sous… s’il n’en reste même plus?
Aura-t-on encore des 25 sous, d’ailleurs? De l’acier, du cuivre, du nickel — restera-t-il même des ressources pour fabriquer notre argent?
Ce genre de questionnement peut aller très loin.
Et c’est exactement ça, l’éco-anxiété.
Alors je me demande :
Faut-il continuer à questionner, ou ce questionnement-là finit-il par nous voler tout espoir pour l’avenir?